Paris, France – Convaincus que les personnes atteintes de troubles bipolaires peuvent tirer profit de la méditation basée sur la pleine conscience en prévention de la rechute dépressive, le Dr Christian Gay, psychiatre (Clinique du château à Garches) et Sylvie Beacco, instructeur de yoga et psychothérapeute, ont mis au point un programme personnel de psychoéducation et de mindfulness en 8 séances.
A l’occasion du 14èmecongrès de l’Encéphale , le psychiatre spécialisé dans la prise en charge des troubles de l’humeur a expliqué la démarche [1] – résumée dans un ouvrage paru en janvier 2016 [2].
La « mindfulness », qu’est-ce c’est ? C’est une expérience, une pratique d’ « être » dans l’ici et maintenant. L’observation de ce qui est, tel qu’il est, sans jugement ni interprétation. « Mindfulness » est la traduction en anglais de « Sati », un mot pali (ancienne langue de l’Inde), qui veut dire « connaissance de soi grâce à un mental clair et vigilant ». Jon Kabat-Zinn fut l’un des principaux acteurs dans la reconnaissance et l’intérêt de la pratique. En 1979, il intègre la Mindfulness à un programme de thérapie pour la réduction du stress (MBSR pour Mindfulness-Based Stress Reduction). Un programme qui s’est avéré très efficace pour traiter les symptômes de l’anxiété généralisée, les crises de panique, les phobies, la boulimie et le stress post-traumatique. Au début des années 2000, au Canada, Zindel Segal élabore une variante, la MBCT (pour Mindfulness-Based Cognitive Therapy) pour réduire les risques de rechutes dépressive chez les patients atteints d’une dépression récurrente. |
Une efficacité prouvée dans de nombreux troubles psychiques
« Et pour moi, Docteur, la méditation qu’est-ce que vous en pensez ? ».
C’est interpellé par l’un de ses patients stabilisé par le lithium mais toujours d’humeur fragile et présentant des troubles anxieux, que le Dr Gay a eu l’idée d’intégrer la méditation de pleine conscience à la prise en charge de personnes atteintes de trouble bipolaire. La démarche est sans doute assez logique quand on sait que la méditation a fait ses preuves dans de nombreux troubles psychiques [3]. Et pour s’en convaincre, il suffit de lire les ouvrages de Christophe André, Christine Mirabel-Sarron, de Jon Kabat-Zinn ou encore de Zindel Segal qui ont montré que le trouble anxieux et plus particulièrement la gestion de la réactivité au stress représentent la première indication de la mindfulness, avec une démonstration établie chez les plus de 35 ans [2]. La deuxième grande indication est la prévention des rechutes dépressives, essentiellement sous la forme MBCT (voir encadré ci-dessus), laquelle a fait l’objet de plusieurs évaluations. La dernière en date, publiée dans The Lanceten 2015, montrait une équivalence en termes d’efficacité entre un traitement au long cours par antidépresseur et thérapie de pleine conscience dite MBCT (voir notre article ici).
Etre dans la bienveillance en rapport avec soi-même
En ce qui concerne les troubles bipolaires, un certain nombre d’essais ont montré sa faisabilité [4] et son efficacité sur l’anxiété et la diminution de la symptomatologie dépressive résiduelle [3] sans qu’il soit possible de conclure à un intérêt pour la pratique clinique.
« Il n’existe ni protocole, ni données démontrées d’efficacité et l’élargissement de la méditation à l’indication du trouble bipolaire est, à ce jour, empirique », a expliqué le Dr Gay à Medscape, édition française. Mais alors que la psychose est une contre-indication à la méditation, les bénéfices qui découlent de la pleine conscience, et pas seulement sous la forme MBCT, semblent néanmoins très adaptés au patient bipolaire stabilisé en ce qu’elle permet de mieux gérer le stress, de contrôler ses émotions, d’avoir un impact positif sur ses pensées négatives – en se répétant que les pensées ne sont pas des faits –, de se poser, de se recentrer mais aussi et surtout d’être dans la bienveillance avec soi-même ».
Les personnes bipolaires partagent en effet une hyperactivité émotionnelle et au stress, une hypersensibilité, une anxiété associée et des symptômes dépressifs résiduels. Souvent l’attention est perturbée et beaucoup de patients se plaignent de ne pas pouvoir vivre l’instant du fait de la crainte de la récidive. La plupart du temps, elles ne savent pas se poser, n’ont pas de cadre de vie qui les incite à le faire et enfin, elles manquent de bienveillance par rapport à elles-mêmes. Autant de caractéristiques qui constituent des cibles thérapeutiques et où la pleine conscience trouve sa place à côté des autres mesures psychothérapeutiques.
Prise en charge holistique du trouble bipolaire Le trouble bipolaire est un trouble de l’humeur qui présente de multiples facettes et de multiples causes. Sa grande diversité nécessite de personnaliser la prise en charge qui nécessite par ailleurs une vision holistique tenant compte de tous les déterminants de la pathologie :- le traitement médicamenteux reste la base de tout – le lithium étant la thérapeutique de référence ;- les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) ;- l’IPSRT (psychothérapie interpersonnelle et étude des rythmes sociaux) – la psychoéducation ; – la MBCT-MBSR. |
Quelques prérequis
Aujourd’hui, deux méthodes ont été développées (voir encadré plus haut) : d’une part, la MBSR et d’autre part, la MBCT dont s’est inspiré Thilo Deckersbach pour proposer, en 2014, un programme de Mindfulness à l’attention des patients bipolaires. Le Dr Gay en propose, lui, un nouveau (qui a recours à la MBSR et la MBCT) et qui comporte 8 séances de 2 heures, une journée complète, et des séances de rappel. Chaque séance est inaugurée par 15/20 minutes de pratique de postures de yoga (asana), suivi de 10 minutes de pratique du contrôle de la respiration (prânâyâma) et de 15 à 20 minutes de méditation guidée. Le temps restant est consacré aux partages d’expérience.
Suivre cette méthode nécessite quelques prérequis :
– être informé sur la psycho-éducation ;
– être en capacité de participer à un groupe ;
– être en phase inter-critique de la maladie ;
– et pouvoir pratiquer régulièrement.
En proposant un programme de psychoéducation – mieux connaitre son trouble – suivi d’un guide pour apprendre à utiliser la méditation – accéder à des moments de pause, réduire son niveau d’anxiété et contrôler ses émotions –, l’ouvrage tout juste paru vient en support de cette approche [2].
Un complément de prise en charge à adapter à chacun
Convaincus de l’aide que peut apporter cette pratique, les auteurs reconnaissent toutefois des limites à ce programme. Il restera notamment à l’évaluer. A ce jour, « il se base sur notre ressenti et nos expériences, témoigne le Dr Gay. C’est un complément de prise en charge avec possibilité de l’adapter à chacun ».
« Pourquoi se priver d’une approche qui fait du bien et améliore considérablement la qualité de vie des personnes, a-t-il conclu. Le fait de pouvoir injecter de la bienveillance, c’est immense. De même que mieux gérer ses émotions quand on sait que les rechutes – fréquentes dans cette pathologie chronique – sont très liées à la réactivité émotionnelle et aux situations de stress extrêmes ».
Le Dr Christian Gay a déclaré ne pas avoir de conflits d’intérêt. Il est le co-auteur de l’ouvrage « Mieux contrôler mon trouble bipolaire avec la mindfulness » [3].
REFERENCES :
- Gay C. Intérêt de la pleine conscience (MBCT) dans la prévention des rechutes. Congrès de l’Encéphale 2016.
- Beacco S, Gay C. Mieux contrôler mon trouble bipolaire avec la mindfulness, 2016. Dunod, 240p, 22 €.
- Vargas de Francqueville A. La méditation de pleine conscience : application clinique en médecine générale. Revue de la littérature. Thèse pour le diplôme d’état de docteur en médecine, spécialité médecine générale. 11 septembre 2014.
- Weber B, Jermann F, Gex-Fabry M et al. Mindfulness-based cognitive therapy for bipolar disorder: a feasibility trial. Eur Psychiatry 2010 Oct;25(6):334-7.
Liens
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